"Il faut arrêter de diaboliser les écrans" : à Montpellier, des médecins expliquent pourquoi ils sont aussi utiles aux enfants

Publié le , mis à jour

À l’âge de 5 ans, un enfant sur deux utilise un écran. À partir de 13 ans, il y passe en moyenne plus de 5 h par jour. Inquiétant ? Ce vendredi 29 mars, à Montpellier, un congrès médical consacre une journée au sujet, devenu une affaire d’État : en janvier, Emmanuel Macron a mis en place un groupe d’experts qui devait remettre un rapport au président avant la fin mars. Nous y sommes.

"Docteur, il est scotché aux écrans toute la journée, c’est grave ?" Pas un jour sans qu’Olivier Revol, pédopsychiatre au CHU de Lyon, ne soit interpellé par un parent. Il relativise d’entrée : "Des vraies addictions, il y en a peu. On apprend à faire la différence entre un "geek" et un "no life". La première chose à faire, c’est dédiaboliser".

Avec sa collègue Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier, le médecin intervient sur ce "sujet passionnel", en clôture du congrès de médecine physique et réadaptation ouvert ce mercredi à Montpellier.

Impact des écrans sur le langage chez le tout-petit, le développement cognitif, risques psychiques, dépendance, comportements excessifs à l’adolescence… des experts de Montpellier, Lyon, et Rennes, Grenoble, Marseille… viendront débattre sur le sujet ce vendredi 29 mars, avant de soumettre leurs réflexions au grand public, dans une conférence ouverte à tous, sur inscription.

Le sujet est devenu une affaire d’État : en janvier dernier, le président de la République, désireux de réguler l’accès des mineurs aux téléphones, tablettes et consoles de jeux, a annoncé la création d’un groupe d’experts sur le sujet. Il devait remettre son rapport fin mars.

"La question est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine"

"La question est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine, et plus on creuse, plus c’est complexe. La problématique seule des écrans n’est pas un motif de consultation, mais elle revient dans toutes les consultations de pédopsychiatrie… même la définition d’une addiction aux écrans ne fait pas l’objet d’un consensus", rappelle Claire Jourdan, praticienne hospitalière dans le service de médecine physique et de réadaptation du CHU de Montpellier.

"Vous connaissez Minecraft ? C’est un jeu formidable, et ce n’est pas le seul. Gérer l’impulsivité, accepter l’échec, travailler la compétence visio-spatiale… il y a plein de choses positives dans les écrans", argumente Olivier Revol, qui y voit l’équivalent, pour "les petits urbains", de "la cabane au fond du jardin de notre enfance".

Le neuropédiatre Pierre Meyer, du CHU de Montpellier, est de ceux qui font la chasse aux "fausses croyances" : "Non, le QI ne baisse pas et ce n’est pas la faute aux écrans, il a même tendance à augmenter", insiste le médecin, qui déplore des "études non fiables sur le sujet".

"Des données internationales avec des centaines de milliers de patients montrent peut-être un léger impact des écrans sur la cognition, mais les effets sont positifs dès lors qu’on parle de programmes éducatifs, d’un co-visionnage avec les parents, et c’est aussi le cas des jeux vidéo", affirme le médecin, qui s’appuie aussi sur les données de la cohorte Elfe : "A l’âge de 3 ans et demi, un enfant sur deux est exposé chaque jour à une heure d’écran. Les messages dogmatiques ne marchent pas, on est dans la société du digital. Mais on a aussi fait le constat que la télévision allumée pendant les repas a un impact négatif sur le langage du petit enfant, à l’âge de deux ans".

Sa conclusion : "Il faut s’intéresser aux vrais sujets, le type d’écran dont on parle, le contenu, et parler enfin de la technoférence", le rapport aux écrans des adultes qui entourent l’enfant, et qui interfèrent dans la relation parent/enfant.

Une conférence grand public, un livre

"Accros aux écrans, c’est grave docteur(e) s ?" C’est le thème de la conférence gratuite grand public organisée au Corum de Montpellier avec Nathalie Franc et Olivier Revol, pédopsychiatres au CHU de Montpellier et de Lyon. De 17 h 45 à 19 h 30, salle Einstein du Corum de Montpellier.

L’inscription est obligatoire sur le site www.empr.fr

Les réflexions des experts participant au congrès font aussi l’objet d’un livre, "Écrans et apprentissages, le cerveau de nos enfants face aux défis du numérique", édité chez Sauramps médical. 30 euros.

"Le plus difficile à gérer au quotidien pour les parents"

"Quand, pendant la consultation, le téléphone de l’adulte envoie des dizaines de notifications, je m’interroge", concède Nathalie Franc, qui confirme que la question des écrans "n’est pas un sujet problématique en soi" pour un médecin. Mais oui, "c’est la question la plus difficile à gérer au quotidien pour les parents". "C’est un sujet de conflit majeur, et ça peut masquer un autre problème", ajoute Olivier Revol.

Car les parents ont tendance à "tout" mettre sur le dos des écrans : "Quand on reprend les choses en consultation, on voit surgir d’autres problèmes. Si un ado ne lâche pas son écran, c’est peut-être parce qu’il est déprimé, ou qu’il fait de la phobie scolaire… S’il n’a pas d’amis, ce n’est pas à cause des écrans non plus. Et une bonne fois pour toutes, les écrans ne rendent pas autiste et ce n’est pas à cause des jeux vidéo qu’il y a plus de violence" s’agace Nathalie Franc.

Et ainsi de suite. "Mettre le tout petit devant un écran" devient un problème, en revanche, "quand il prend la place de choses qu’on aurait pu faire à la place". Pour peu que ce soit "de la peinture ou de la pâte à modeler".

Le temps passé sur les écrans en fonction de l'âge.

Comment s’y retrouver ? "Les parents d’aujourd’hui n’ont pas grandi avec les écrans, c’est difficile d’être pertinent. Les codes ont changé", souligne Olivier Revol, qui conseille d’agir "avec tact et mesure". Quitte à revisiter la règle "3, 6, 9, 12" (pas d’écran avant trois ans, pas de console de jeux personnelle avant 6 ans, pas d’internet accompagné avant 9 ans, pas d’internet seul avant 12 ans), du docteur en psychologie Serge Tisseron : "Je ne suis pas certain que c’est encore adapté".

"Pour moi, ce n’est plus d’actualité. Mais couper les écrans, ce n’est jamais anodin et ce n’est pas réaliste. Le monde de 2024 est connecté", indique Nathalie Franc.

"Il faut apprendre à poser des limites"

"Il faut un cadre, il faut apprendre à poser des limites", ajoute Olivier Revol. Pour lui : "Pas de console en semaine, pas d’écran le soir, pas pour les embêter mais parce que la lumière bleue active la sécrétion de mélatonine qui fait penser au cerveau qu’on est en plein jour".

"S’intéresser au contenu des écrans, privilégier ceux qui sont éducatifs, en faire un temps de partage avec l’enfant, mettre des contrôles parentaux", ajoute Nathalie Franc qui ne conseille pas l’écran avant l’âge de 3 ans "sauf pour une visio en famille". Aussi, "pas d’écran dans la chambre du petit enfant", et "plus de liberté au pré-adolescent et à l’adolescent". Au risque de l’exposer en cas de rigidité excessive : "Je pense à une adolescente à qui les parents avaient interdit les réseaux sociaux. Elle avait créé un compte Snapchat, elle s’était fait harceler, elle ne pouvait pas leur en parler".

"Pas d’écran avant l’école, pas d’écran au déjeuner et au coucher, pas d’écran dans la chambre", conseille Pierre Meyer, conscient que "tout le monde est rassuré quand une parole est posée", qui a pris l’habitude d'"interroger systématiquement ses patients en consultation, comme on parle du temps de sommeil ou de la pratique d’une activité sportive".

Et ça marche : "Je ne rencontre pas de réticences, pas de manifestations hostiles, juste des interrogations. Des familles tombent des nues : "Ah bon, il ne faut pas consulter d’écran avant d’aller en classe ?" Non, ce n’est pas possible de faire 8 h à 13 h d’écran par jour, qu’est-ce qui reste pour l’école ? … Oui, ça existe aussi".

Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement à cet article
2 semaines offertes
Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement
à cet article à partir de
2,49€/mois
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (9)
Anonyme146232 Il y a 29 jours Le 28/03/2024 à 11:20

Les pédopsychiatres ont trouvé un moyen d'arrondir leur fin de mois. Les réseaux sociaux payent mieux que l'hôpital. !!

GRrsceaudaumizleZ Il y a 29 jours Le 28/03/2024 à 11:13

@altairetaitoi ne comprends jamais rien mais nous explique toujours tout.

Altaïr Il y a 29 jours Le 28/03/2024 à 10:48

"En plein ramadan, un jeune homme se fait tirer dessus à proximité de la mosquée l'Union à Montpellier".

Où est le rapport SVP ? le ramadan est-il devenu en France un point de repère socio-culturel ? ou alors deviendrait il le marqueur de notre déchéance ?