"Chaque crise au Moyen-Orient provoque une explosion des violences antisémites", décrypte l'historien Nicolas Lebourg

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    "L’antisémitisme est devenu mainstream", pointe Nicolas Lebourg. MAXPPP - Alexandre MARCHI
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Propos recueillis par Manuel Cudel

L’historien, chercheur au Centre d’études politiques et sociales (Cepel), analyse l’interaction entre les événements au Moyen-Orient, ici la riposte israélienne aux attaques terroristes du Hamas, des frappes de Tsahal qui font de nombreuses victimes actuellement parmi les civils à Gaza, et la montée de l'antisémitisme en France.

Quelle lecture faites-vous de la polémique autour de la participation du RN à la grande marche contre l’antisémitisme, ce dimanche à Paris ?

L’argument des opposants à cette participation, c’est que le RN conserve des liens avec des antisémites et antisionistes radicaux et refuse de dire simplement qu’il condamne son passé.

Pour certains, puisque le FN a eu en 1972 ses statuts déposés par un ex-Waffen SS, il ne peut être crédible tant qu’il ne condamne ce passé. Or Mme Le Pen et M. Bardella craignent que ça nuise à leur intégration au système, alors que d’ailleurs on peut penser que ce serait gagnant en termes d’image.

"Un très gros dispositif de sécurité", à Paris dimanche

Gérald Darmanin a annoncé, vendredi soir, sur BFMTV, la mobilisation d’un " très gros dispositif de sécurité", à Paris, dimanche, avec plus de 3 000 policiers et gendarmes déployés, notamment des unités d’élite, lors de la marche contre l’antisémitisme. Une "très belle initiative républicaine", a salué le ministre de l’Intérieur. "On ne peut pas accepter dans notre pays qu’on dise "sale juif"."

Quels sont les ressorts des actes antisémites qui se multiplient en France, en lien avec les événements au Proche-Orient ?

Chaque crise au Moyen-Orient provoque invariablement une explosion des violences antisémites et plus encore des menaces, catégorie policière dans laquelle on compte par exemple les inscriptions murales.

Jusqu’en 1990, ces faits relèvent de l’extrême droite, responsable de 260 des 270 violences de cette décennie. À partir de 1990 et de l’avant-première guerre contre l’Irak, on a une forte participation de jeunes issus de l’immigration.

Assiste-t-on à une importation du conflit israélo-palestinien ou à un mécanisme plus complexe ?

Ce n’est que la part d’un tout. Chaque fait intégré au récit du choc des civilisations devient un stimulus qui provoque des violences. Par exemple la polémique sur les collégiennes voilées en 1989 ou les attentats de 2015 provoquent des violences contre les Maghrébins.

Du côté des violences antisémites, on en trouve faites par des individus ni islamistes ni d’ultra-droite suite à la profanation néonazie du cimetière de Carpentras en 1990, mais aussi après l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006 ou des crimes de Mohamed Merah en 2012.

Nicolas Lebourg, historien et chercheur.
Nicolas Lebourg, historien et chercheur.

La violence raciste est devenue un phénomène commun, bien au-delà des marges radicales. La guerre entre Israël et le Hamas fait-elle augmenter également les actes racistes ?

La phase est en cours, mais on a l’air d’être parti pour une explosion au moins équivalente à celle de 2002, où, suite à un épisode du conflit israélo-palestinien, on avait été sur un record.

Vous observez aussi une spécialisation. Comment le profil des auteurs de ces actes a-t-il évolué ? Comment analysez-vous, plus particulièrement, la mue de la violence d’extrême droite, qui a changé de cible depuis les années quatre-vingt ?

On a une violence d’extrême droite qui se spécialise contre les maghrébins à partir de 1982, alors que jusque-là, elle était d’abord antisémite. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de victime juive : en 1984 et en 1995, il y a une personne tuée parce que juive par un militant de l’extrême droite antisémite.

Mais le nombre de faits s’écroule. On peut avoir la légitime crainte d’un retour à cause de l’influence de l’accélerationnisme, un courant apparu en 2015 aux États-Unis, qui est celui auquel adhéraient les terroristes de Christchurch, El Paso, Pittsburgh etc. Il revendique la nécessité d’un génocide juif et d’un massacre des Africains. Il y a eu plusieurs arrestations en France.

Le profil de l’ultra droite française est plutôt celui des gens de la classe moyenne des zones rurales. On est très loin du stéréotype du skin de jadis.

Combattre l'antisémitisme, "un motif d'espérance"

Le président de la République ne se rendra pas à la marche contre l’antisémitisme,ce dimanche, à Paris, a affirmé son entourage à BFMTV. "Le Président de la République combat sans relâche toutes les formes d’antisémitisme depuis le premier jour. Que des rassemblements viennent, partout en France, relayer ce combat est un motif d’espérance", souligne l’Élysée. "Voilà pourquoi le Président salue avec respect celles et ceux qui, dimanche, marcheront pour la République, contre l’antisémitisme et pour la libération des otages", ajoute la présidence de la République.

L’antisémitisme semble aujourd’hui plus assumé, décomplexé. Cette évolution vous inquiète-t-elle ?

Dans les années 2000 l’antisémitisme est devenu un bien de consommation culturelle, comme en ont témoigné alors les succès de Dieudonné et d’Alain Soral. C’est une massification mais les ouvrages d’Henry Coston, l’un des plus violents antisémites français, s’étaient aussi vendus à environ 40 000 exemplaires entre 1945 et 2000.

De Vichy à la fin des années 1970, les enquêtes d’opinion nous montrent qu’on a un taux d’environ un quart des Français qui sont antisémites. Ça s’est amélioré sur ce point, avec un niveau plutôt autour de 10 %. Dans le même temps des rapports de police ont montré que les violences antisémites étaient beaucoup le fait de personnes sans carrière militante, ni dans l’islamisme, ni dans l’extrême droite radicale.

C’est-à-dire qu’en fait, l’antisémitisme est devenue mainstream et que le problème central c’est la banalisation de l’indifférence face à l’antisémitisme.

Une grande marche populaire

L’événement prendra-t-il une dimension historique ? La marche contre l’antisémitisme partira, dimanche, à 15 h, à Paris, de l’esplanade des Invalides, pour rejoindre la place Edmond-Rostand. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, et le président du Sénat, Gérard Larcher, ont appelé "tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs de notre République" à participer à une "grande marche civique ", alors que les actes antisémites se multiplient depuis le début de la riposte israélienne aux attaques duHamas, le 7 octobre. Mais la manifestation, qui se voulait une démonstration de concorde nationale, a vite été empêtrée dans une polémique sur la présence annoncée du Rassemblement national, qui devrait être tenu à l’écart des autres partis politiques dans le cortège. Le leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, a décidé, lui, de boycotter l’évènement qui devient finalement une "marche de la discorde", selon le média suisse RSI. 59 % des Français regrettent pourtant l’absence d’union sacrée, y compris avec le RN, selon un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, publié jeudi. Et 69 % soutiennent cette mobilisation, qui sera également relayée en région.

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