Jean Todt, "M. Sécurité routière" à l'ONU : "Il y a 1,3 million de morts par an sur la route, 500 enfants par jour"

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  • "C'est Ban Ki-moon qui m'a nommé. Il avait apprécié mon engagement pour la sécurité routière lorsque j'était président de la FIA".
    "C'est Ban Ki-moon qui m'a nommé. Il avait apprécié mon engagement pour la sécurité routière lorsque j'était président de la FIA". EPA - STR
Publié le
Ollivier Le Ny

Le Français est, depuis 2015, l’envoyé spécial de l’ONU pour la sécurité routière. Une mission qu’il poursuit après qu’il a quitté la présidence de la Fédération internationale automobile fin 2021.

Comment êtes-vous devenu Monsieur Sécurité routière des Nations unies ?

C’est Ban Ki-moon, alors secrétaire général des Nations unies, qui m’avait nommé comme envoyé spécial du secrétaire général pour la sécurité routière dans le monde. C’était la première fois que cette mission était attribuée, pour moi, c’était un honneur. Il avait apprécié mon engagement pour la sécurité routière ; à l’époque, j’étais président de la FIA.

Est-ce un sujet qui vous impliquait déjà fortement ?

Je voulais que la FIA soit très engagée en matière de sécurité, en compétition automobile et sur la route, sachant qu’elle réunit d’un côté les fédérations sportives automobiles, d’un autre les automobiles clubs, dont la vocation est d’accompagner par leurs programmes les utilisateurs de la route. Ça veut dire toute catégorie d’usagers, du piéton au conducteur de camion en passant par les cyclistes, les motocyclistes et les conducteurs de voiture.

Les Nations unies étant la référence en matière de coordination mondiale et la sécurité routière faisant partie des objectifs du développement durable, cette nomination était pour moi une opportunité unique. Elle est depuis renouvelée, notamment quand Antonio Gutierrez est devenu secrétaire général.

Quelles sont les statistiques de la mortalité routière dans le monde aujourd’hui ?

Il y a un peu plus d’un million 300 000 morts par an sur les routes dans le monde, 500 enfants par jour. C’est la cause numéro un de décès pour les jeunes entre 5 et 29 ans, il y a entre 30 et 50 millions de blessés qui conservent des séquelles. Et en dehors de ce que cela représente pour les victimes, les familles, le coût financier est énorme.

En 2019, le gouvernement français, pour environ 3 200 morts et 20 000 blessés, donnait un montant de 52 milliards d’euros, à l’échelon de la France. Voyez ce que ça peut être à l’échelon mondial.

Nous avons créé un certain nombre de centres, de structures, de programmes qui sont engagés différemment en fonction des régions

Comment attaquer de front les causes de ce drame, vu les différences entre les infrastructures des pays ?

Il est évident que le problème en Europe est différent du problème en Afrique, en Asie, en Amérique ou au Moyen-Orient, et d’un pays à l’autre. De fait, plus de 90 % des chiffres que je viens de vous donner concernent les pays en voie de développement. Cela veut dire que mon rôle, que je considère important dans tous les pays, l’est encore plus dans ceux-là.

De quelle façon conduisez-vous cette "croisade" ?

Mon rôle de président de la FIA à l’époque et d’envoyé spécial est de faire la transition avec les gouvernements, les secteurs public et privé, des organismes internationaux, dont la Banque mondiale. De nouer des contacts, d’engager des discussions, d’ouvrir des portes à tous les niveaux pour faire qu’une attention plus importante soit portée à la sécurité routière.

Et m’assurer qu’une fois les portes ouvertes, des actions concrètes sont menées et qu’un suivi soit fait. Évidemment, je travaille également avec mes collègues des agences des Nations unies.

Depuis 2015, comment ceci s’est-il traduit en actions ?

Nous avons créé un certain nombre de centres, de structures, de programmes qui sont engagés différemment en fonction des régions.

Un fonds a été créé, dont la France a d’ailleurs été l’un des premiers contributeurs et dans le board duquel vous avez la déléguée interministérielle à la Sécurité routière, mais aussi Total ou Michelin. Donc beaucoup de parties prenantes et des fonds publics comme des fonds privés qui sont affectés à des programmes sélectionnés. En 2017, nous avions lancé avec JCDecaux une campagne qui se nommait 3 500 vies, parce qu’il y avait 3 500 morts sur les routes par jour.

Nous avions fait ça avec une vingtaine d’ambassadeurs, Pharrell Williams qui disait de ne pas utiliser le téléphone portable, Rafael Nadal, Fernando Alonso qui demandait de mettre la ceinture de sécurité, Charles Leclerc. Cela a été une campagne extrêmement importante, dans 90 pays.

L’ordonnance, c’est : éducation, application des lois, niveau des véhicules, des infrastructures, qualité des secours

Faut-il inlassablement sensibiliser les gens ?

L’ordonnance, c’est : éducation ; application des lois – si on n’a pas peur des conséquences on fait n’importe quoi, ça veut dire qu’il faut que les gouvernements soient sévères dans l’intérêt des utilisateurs de la route – ; niveau des véhicules ; niveau des infrastructures ; qualité des secours.

Et des gestes simples, le port du casque, attacher sa ceinture au volant à l’avant et à l’arrière, alcool et drogue, téléphone.

Les chiffres sont en baisse en France avec 297 décès de moins en 2021 qu’en 2019.

En France, c’est pas mal. Ça pourrait être beaucoup mieux, mais c’est pas mal par rapport à ce que c’était. En 1973, il y avait 18 000 morts avec trois fois moins d’utilisateurs de la route. Pourquoi ? Parce que l’ordonnance a été prescrite, ce qui n’est pas le cas dans les pays en voie de développement.

Vous avez porté pour eux un projet de casque qui a abouti fin 2021…

Il s’avère que dans tous les pays en voie de développement, notamment en Afrique, même s’il est obligatoire, il n’y a pas d’application de la loi. Il n’est pas ou pas suffisamment utilisé et souvent ces casques sont cassants comme du verre. Ce qui nous était dit, c’était que les casques étaient difficilement accessibles financièrement et que c’était pour ça que les gens achetaient des casques qui en avaient la forme sans les qualités.

Nous avons développé avec les fabricants, en liaison avec les équipes de sécurité de la FIA et les services concernés des Nations unies, un casque ventilé, à bas prix puisqu’il est à moins de 20 dollars. La fondation de Michael Schumacher nous a accompagnés, on l’a lancé dans plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine, avec des usines en mesure de le fabriquer et on travaille à lui donner une diffusion plus importante.

Votre mission inclut un volet transport public. Quel est-il ?

Dans les objectifs du développement durable, le 11.2 est que d’ici 2030, l’accès aux transports publics soit acquis à chaque citoyen du monde. On en est loin.

Sa carrière : "On a réussi au-delà de tous les résultats dont on aurait pu rêver"

Michael Schumacher a été sacré cinq fois avec Ferrari en F1, quand Jean Todt la dirigeait.
Michael Schumacher a été sacré cinq fois avec Ferrari en F1, quand Jean Todt la dirigeait. MAXPPP - Gero Breloer

Aviez-vous jamais imaginé un tel parcours, jusqu’à ce niveau de responsabilités à l’échelle planétaire ?

Non. La vie, c’est un parcours, effectivement, et chaque chapitre m’a amené au suivant.

Que vous ont-ils apporté ?

Le premier, de coéquipier, a été un chapitre d’apprentissage. Apprendre à gérer, communiquer. Je m’étais fixé l’âge de 35 ans maximum pour être patron d’une écurie. Ensuite, il y a eu le chapitre construire une équipe, avec dans un premier temps les rallyes et la 205 Turbo16, les rallyes-raids que nous avons tous gagnés, l’endurance avec la 905.

Là aussi, on a gagné. Je pensais faire carrière toute ma vie dans le groupe PSA, mais je n’ai pas pu obtenir ce que j’espérais, évoluer dans le groupe. J’étais ambitieux, après douze ans, je voulais d’autres opportunités, c’est Ferrari qui me les a données. Je ne m’y attendais pas du tout, cette proposition de Ferrari était pour moi quelque chose d’incroyable.

Ferrari était engluée dans la défaite en F1, en 1992.

Malgré tous les avertissements qu’on m’avait adressés, me disant "n’y va pas, ce n’est pas possible, tu n’y arriveras pas", mon envie de défi m’a fait accepter. J’ai souvent pensé qu’on avait eu raison de me dire de ne pas y aller, qu’on n’allait pas y arriver, mais on a réussi au-delà de toute attente et de tous les résultats dont on aurait pu rêver.

Ça a été probablement le plus grand tremplin de ma vie professionnelle, dans la mesure où Ferrari a une aura qu’aucun constructeur, aucune écurie n’atteindra jamais.

Et je suis devenu administrateur délégué de Ferrari (directeur exécutif, NDLR). Je ne m’y attendais toujours pas.

La FIA a fait partie d’un nouveau chapitre de ma vie où je voulais donner quelque chose. Puis, de la même manière, d’autres portes se sont ouvertes, dont celle des Nations unies.

Dans la vie, il n’y a pas beaucoup de gens en lesquels on a confiance. Michael en fait partie

Au bout d’une carrière dans le sport auto, quitter la FIA a-t-il été difficile ?

À aucun moment je n’ai la nostalgie de tout ça, parce que je suis passionné par les autres choses que je fais. Je sais très bien tourner la page.

J’ai tout le temps été un manager, jamais le propriétaire d’une entreprise. Quand vous êtes manager, on vous donne les clés mais vous savez que vous les rendrez un jour. J’ai toujours essayé de rendre les clés en laissant l’entreprise dans une meilleure situation. Je le dis avec une certaine satisfaction, ça a été le cas. Donc chaque chapitre à une fin.

Vous avez parlé de Michael Schumacher en quittant la FIA le 16 décembre 2021. Il est là, dans votre cœur.

Il me manquait parce que j’aurais voulu qu’il soit à côté de moi. Le jour où j’ai été élu à la tête de la FIA en 2009, il était avec moi. J’avais invité trois personnes, ma femme, mon fils et Michael.

La relation que vous avez avec lui est de quel ordre, amicale, filiale ?

C’est un ensemble, une complicité, une confiance mutuelle. Il n’y a pas beaucoup de gens dans la vie en lesquels on a confiance, auxquels on peut donner tout, dire tout, ça se compte sur les doigts d’une main. Il en fait partie.

Les photos de ces années montrent l’intensité folle des émotions partagées.

Les émotions sont à la hauteur de la souffrance qu’on a eue. Ça été tellement difficile, on a tellement souffert que quand on y est arrivés, les émotions sont tout le temps restées fraîches. Et s’il y avait une équipe aussi solidaire, avec Michael notamment, c’est parce que c’est en restant soudés dans les moments difficiles qu’on devient fort.

Ferrari qui gagne cette année, ça ne vous laisse pas de marbre, même si c’est derrière vous ?

Je suis très content de ce début de saison foudroyant pour plusieurs raisons. Ferrari souffrait depuis trop longtemps et beaucoup n’y croyaient plus. Et je vous avoue que le fait que Charles Leclerc a été défendu toute sa carrière par mon fils Nicolas (manager de pilotes, NDLR), fait que c’est un pilote avec lequel j’ai un contact privilégié.

"L’automobile restera synonyme de liberté"

L’auto vous a-t-elle toujours passionné ?

J’adore, c’est de l’art. Son histoire n’a que 125 ans mais quand vous voyez l’évolution de l’automobile, de la mobilité, c’est absolument fascinant. La mobilité à tous les niveaux, sur la route, le rail, sur mer, dans l’air. Mais c’est sûr que la partie qui me fascine le plus, c’est la route. Je suis très curieux ce qu’il va advenir.

Lui voyez-vous toujours un avenir ?

C’est évident. Pour moi, la voiture est synonyme de liberté, elle le restera. Il y aura plus de contraintes, il y en a déjà, la sécurité routière est une contrainte indispensable dont on voit les résultats. J’ai été grisé par la moto sans casque, c’est une folie mais je l’ai fait, grisé par la vitesse sur les routes sans être attaché. D’une certaine manière, je suis un rescapé. Il y a un coût à payer, qui vous enlève de cette liberté mais qui est indispensable dans un environnement que vous partagez avec d’autres.

Quand on vous parle de conduite autonome, de voiture robotisée, ça vous inspire quoi ?

L’automobile ne peut pas ne pas changer et le passionné pur et dur devra revoir un peu sa copie en exerçant sa passion de manière différente. La route va devenir beaucoup plus un outil, un mode de déplacement.

Ses engagements : "J'ai voulu donner en retour"

Le couple Michelle Yeoh et Jean Todt s’investit ensemble.
Le couple Michelle Yeoh et Jean Todt s’investit ensemble. MAXPPP

Vous dites que présider la Fédération internationale automobile fut une façon de donner quelque chose.

Oui. Si j’ai réussi à acquérir un certain confort dans ma vie, c’est à force de travail et grâce à mon entourage, c’est pour ça que j’ai voulu donner quelque chose en retour. Depuis 2009, tous mes engagements sont faits à titre bénévole, je les fais parce que j’ai les moyens, la volonté. C’est un tribut qu’il est gratifiant pour moi de donner.

La FIA n’était d’ailleurs pas votre premier engagement sociétal…

Si j’ai eu un certain succès, c’est parce que j’ai été très engagé et très exigeant par rapport aux personnes qui m’ont accompagné. J’ai été à la recherche des meilleurs dans tous les domaines. Il se trouve que j’ai eu le privilège de connaître, il y a une quarantaine d’années, un chirurgien orthopédique qui est devenu l’une des personnes les plus proches dans ma vie. Le professeur Gérard Saillant. Il était tout le temps disponible à la moindre sollicitation. Un jour, il y a une vingtaine d’années, je lui ai dit que j’aimerais bien mener à terme un projet de fondation médicale avec lui, un centre de recherche orthopédique.

Il est revenu vers moi, me disant : "Un centre d’excellence, ça me plaît. Mais l’orthopédie, on connaît, c’est le châssis. Ce que l’on ne connaît pas, c’est l’électronique, le cerveau." À partir de là, on a travaillé à la création d’un institut qui s’appelle l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, basé sur le site du plus grand hôpital français, La Pitié-Salpêtrière, où l’on a plus de 700 chercheurs. Il fonctionne avec des fonds publics et privés et je crois qu’on est N° 2 en matière de recherches sur le cerveau dans le monde.

Parfois, le monde est réfractaire au changement. Il faut changer si derrière le mot changement on peut ajouter constructif

De quoi êtes-vous le plus fier de ces douze ans à la Fédération internationale automobile ?

Il y a plusieurs choses, mais la qualité des équipes qu’on a mises en place, aussi bien dans le domaine du sport que dans celui de la mobilité. Il y a environ 220 personnes extrêmement performantes.

Il y a aussi la qualité des championnats, avec la pyramide Formule 1, 2, 3, 4 depuis le karting, la création d’un championnat du monde des voitures électriques, le retour d’un championnat du monde d’endurance, le rallye, le rallye-cross. Donc beaucoup de choses en matière sportive. Et le développement des synergies entre le sport et la mobilité. Le sport doit être le laboratoire de la mobilité, d’où cet intérêt pour la sécurité en compétition automobile et sur les routes.

Ce sont aussi des décisions que j’ai prises envers et contre tous, qui se sont avérées bonnes. Le Halo (arceau qui protège le pilote d’une monoplace, NDLR) par exemple, qui a sauvé quelques vies. Il est sûr que Romain Grosjean ne s’en serait pas sorti (sa F1 brisée à Bahreïn en 2020), comme Hamilton à Monza, quand Verstappen vient s’écraser sur sa tête.

Est-ce une fierté d’avoir réussi à imposer ça ?

Plutôt une satisfaction. Parfois, le monde est réfractaire au changement. Il faut changer si derrière le mot changement on peut ajouter constructif. Si c’est le cas, il faut y aller

Votre femme est souvent à vos côtés, à l’ONU mais pas uniquement.

Nous nous occupons d’une fondation en Birmanie, la Fondation Aung San Suu Kyi, la prix Nobel de la paix de longues années enfermée et de nouveau emprisonnée depuis un an. Ma femme avait fait un film sur elle, The Lady. On a eu le privilège de la connaître, elle nous avait demandé de nous occuper de sa fondation, ce que nous faisons toujours.

Bio Express

Né en 1946 dans le Cantal, Jean Todt est diplômé d’une école de commerce, l’École des cadres. Il fait ses débuts en rallye comme pilote, mais bascule très vite dans le siège voisin, sacré vice-champion du monde en 1981.

En 1982, il prend la tête de Peugeot Talbot Sport, qui remportera deux titres mondiaux en rallye, cinq Dakar, deux fois les 24 Heures du Mans. Puis avec Ferrari en F1 et Michael Schumacher au volant, ils collectionneront onze titres mondiaux.

Il préside ensuite la Fédération internationale automobile de 2009 à 2021. Père d’un garçon, il est marié à l’actrice Michelle Yeoh.

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Les commentaires (4)
Crainte Il y a 2 années Le 17/04/2022 à 15:15

La conduite en France et en Thaïlande pas ka même. Conduite au Bangladesh et aux us par la même. Balancer des chiffres brut de pommes aucun sens

Saucisse Bleue Il y a 2 années Le 17/04/2022 à 12:11

Il suffit des mettre des radars partout, il parait que ca a marché en France

Charly1 Il y a 2 années Le 17/04/2022 à 11:50

de 39 è 45 ....85 millions de morts par les guerres ....!!!!