"Donner des conseil de santé n'est pas anodin" : la loi anti-dérives sectaires vise aussi le gourou Catalan Thierry Casasnovas
Face à l’augmentation des signalements de dérives sectaires, le gouvernement renforce son arsenal répressif avec une nouvelle loi. Deux nouveaux délits sont créés : provocation à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical et la sujétion psychologique, à savoir l’emprise. Les associations se félicitent, alors que des réserves sur la liberté de conscience et d’expression se posent. La nouvelle loi cible notamment celui qui se dit naturopathe, Thierry Casasnovas, basé dans les P-O et objet de plusieurs centaines de signalements auprès de la Miviludes qui voit son statut renforcé.
Treize ans jour pour jour après sa première vidéo et onze mois après ses huit mises en examen, notamment pour “exercice illégal de la médecine” et “abus de faiblesse”, Thierry Casasnovas, le gourou du jeûne et du cru des Pyrénées-Orientales, demeure plus que jamais dans l’œil du cyclone des autorités.
Car, coïncidence de date, le gouvernement a décidé de sanctionner encore plus fermement les dérives sectaires.
Depuis ce mardi 13 février, le projet de loi renforçant l’arsenal juridique contre ces phénomènes est présenté à l’Assemblée nationale par la secrétaire d’État à la Citoyenneté Sabrina Agresti-Roubache (lire ci-dessous).
Il devrait être adopté ce mercredi 14 février au soir. Avec, notamment, son article 4 créant le nouveau délit de "provocation à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical". La justification d’une telle loi : répondre à l’augmentation spectaculaire du nombre de signalement à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
Soit, dans son dernier rapport, plus de 4 000 signalements recensés pour l’année 2021, un bond de 33,6 % en un an, dont pas loin de 800 concernent le seul secteur de la médecine.
"La crise sanitaire a constitué un catalyseur"
"La crise sanitaire a constitué un catalyseur à travers une prolifération de nouveaux acteurs maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères", écrit alors le président de la Miviludes.
Qui a ciblé Casasnovas, chantre du crudivorisme aux propos controversés, notamment sur l’efficacité des chimiothérapies. Aujourd’hui, le Catalan mène une croisade sur les réseaux sociaux contre la Miviludes et l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles) et ce, malgré son contrôle judiciaire strict.
Sa dernière vidéo au titre provocateur - "Peut-on guérir du cancer avec des jus de légume ?" - vient d’être supprimée de sa chaîne YouTube pour information médicale incorrecte.
Et s’il se déchaîne ainsi et se rêve en héraut des thérapeutes alternatifs, c’est notamment parce que cette loi le concerne directement, par cet article 4 sur le délit de provocation à l’abandon où l’abstention de soins. Ou encore l’article 1 qui prévoit un délit de “sujétion psychologique”, c’est-à-dire d’emprise.
Une victime sous l'emprise des vidéos de Casasnovas : "J'étais fragile, j'aurais pu mettre fin à mes jours"
Thierry Casasnovas est mis en examen depuis le 10 mars mars 2023 pour huit faits de prévention (exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, abus de faiblesse ou pratiques commerciales trompeuses).
Une victime auditionnée par la Miviludes et entendu comme témoin par les gendarmes enquêteurs, raconte pour la première fois son cauchemar vécu en 2016 auprès de midilibre.fr.
Étudiante entre l’Hérault et le Gard, elle était soignée pour une pathologie précise. Une amie lui a alors parlé des vidéos du gourou sur les réseaux sociaux.
"J’étais fragile, mais quand on n’est pas bien, désemparée, on prend ce qu’on peut, nous dit-elle. "Son discours me touchait, il avait l’air de souffrir comme moi, il y avait quelque chose de personnel dans sa façon d’aborder la santé."
Alors, si, sans le sou, elle ne peut pas se payer les compléments alimentaires et les stages que propose Casasnovas, elle s’isole à la campagne, arrête son traitement et se nourrit de ses vidéos et passe "six mois à cueillir des orties et à en faire des jus".
Elle croit sa théorie d’une mauvaise alimentation créant une inflammation des intestins et des problèmes au cerveau.
Et s’enfonce dans la dépression : "J’aurais pu mettre fin à mes jours, c’était pas exclu, heureusement, l’hôpital m’a reprise en charge, j'étais sur liste d'attente. Casasnovas, il est allé trop loin, il n’est pas médecin, il ne se rendait pas compte, il a mis des gens en danger, je ne sais pas s'il en avait conscience. J’ai mis des années à comprendre. Je n’ai pas déposé plainte. Je me sens comme une idiote, là je laisse la justice faire."
"Il y avait des trous dans la raquette législative, il pouvait être compliqué de poursuivre des personnes qui donnent des conseils généraux de médecine, sans faire de diagnostic et sans relation commerciale. Cette loi est une bonne chose face à ceux qui s’arrogent un pouvoir nouveau de par leur pseudo-savoir", réagit Me Jean-Baptiste Cesbron, avocat spécialisé.
"Donner des conseils de santé, ce n’est jamais anodin, cela peut avoir des conséquences gravissimes sur la vie des gens."
Fin janvier, devant l’Assemblée nationale, les ordres des médecins ou des kinésithérapeutes ont soutenu unanimement l’instauration de ce nouveau délit.
Mais cet article 4 a eu ses détracteurs. Le Conseil d’État avait émis des réserves en expliquant que le délit d’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie existe déjà. Surtout, la juridiction a mis en avant la liberté d’expression alors qu’il existe aussi une jurisprudence de l’Europe sur la liberté de choix du traitement médical. Mi-décembre, le Sénat a retiré ces 2 articles contestés (et donc réintroduits en seconde lecture).
Une censure du Conseil constitutionnel ?
"Le problème est juridique et une censure du Conseil constitutionnel nous pend au nez", avertit Lauriane Josende, sénatrice des P-O et rapportrice du projet devant la chambre haute. Elle dénonce un effet d’annonce.
"Où se situe l’abandon de soins ? Jusqu’où une personne n’a pas le droit d’arrêter un traitement parce qu’elle estime que c’est sa liberté ? Si c’est subjectif, on touche aux libertés fondamentales de conscience et d’expression. Et l’arsenal répressif existe déjà", développe Lauriane Josende.
Elle entend porter cette parole lors de la probable prochaine commission mixte paritaire sur le sujet rediscuté entre parlementaires.
À noter que le Sénat a aussi soutenu et boosté les autres articles, prévoyant notamment de renforcer la Miviludes en l’inscrivant dans la loi ou en permettant aux associations de se constituer plus facilement parties civiles dans ces dossiers de dérives sectaires.
J'ai déjà un compte
Je me connecteVous souhaitez suivre ce fil de discussion ?
Suivre ce filSouhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?